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2023
2022
Désir de lignes… (extraits)
Invitée ce printemps pour une carte blanche, Karine Debouzie s’empare du Pavillon de Vendôme, joyaux d’architecture dans un écrin de verdure, lieu emblématique de la Ville d’Aix-en-Provence. La façade, le musée, le bassin vont sous les lignes tracées par l’artiste, nous dévoiler un autre espace, un dedans-dehors, un trait d’union entre l’extérieur et l’intérieur, et jouer du visible et de l’invisible. (…)
L’histoire du Pavillon de Vendôme est ancrée matériellement et physiquement dans des notions de passages et de traversées, de circulation et de blocage.Lors de sa construction au milieu du XVIIème siècle par Louis de Mercoeur, Duc de Vendôme, le Pavillon se situait à l’extérieur des remparts de la ville, cerné par ses murs d’enceinte en pleine campagne, une parcelle rectiligne bien délimitée, s’inscrivant dans une trame moins régulière. Karine Debouzie s’est confrontée à cette architecture et à son ancrage dans la ville. Plan urbain qu’elle s’est réapproprié et à partir duquel elle a relié par un tracé jaune de quatre kilomètres tous les lieux participant à la Biennale d’Art et de Culture#1, une 5ème saison, créant ses « Chemins de désir ». Par ce geste artistique dans l’espace public elle a connecté le Pavillon de Vendôme dans la topographie de la ville, les réunissant à la fois symboliquement, mais surtout par l’acte physique des piétons qui se prêtent à la déambulation. (…)
Le travail de Karine Debouzie est à la fois antonyme et antinomique, tout en fluidité et en tension, en souplesse et en contrainte, en légèreté et en force, en fragilité et en solidité… Elle joue des matériaux utilisés et de leur mise en œuvre, acier de force / dentelle ; dessin / sculpture monumentale ; détail / entité ; micro / macro.Dans la pratique de l’artiste le rapport physique à l’œuvre,à la matière est omniprésent et prépondérant. Ses gestes, son corps, son implication physique dans chacune de ses réalisations, dans l’acte de créer, de réaliser, de porter, de couper, de percer, de visser, de monter, de suspendre, de mettre en œuvre, sont sans aucune concession.(…)
Ce rapport au corps et à l’espace est aussi primordial pour le spectateur qui se confronte directement aux œuvres. Par son déplacement, son cheminement, autour ou à travers, va se retrouver perpétuellement dans un jeu de réseau, de démultiplication, de stabilité ou de basculement. Le point de vue est essentiel dans l’approche et l’appréhension des dessins dans l’espace, qui par les jeux d’ombres et de transparence nous place dans un espace autre, jouant parfois des anamorphoses. (…)
Il y a les lignes de force, de crête, d’arrivée, de touche, de fond, d’horizon, de faille, de cœur et de vie… chaque ligne nous lie, nous relie, que son tracé soit continu, allongé, segmenté, brisé, réel ou imaginaire. Les lignes de Karine Debouzie sont tout cela à la fois, elle nous invitent à les suivre vers un ailleurs,vers l’autre, vers soi-même, par ces tracés qui se transforment, en allée, en passage, en chemin, en sentier, en traverse, en circuit, en parcours, pour trouver sa voie…
Karine Debouzie,
Lignes et chemins de désir (extrait)
Karine Debouzie travaille in situ, à partir de son ressenti des lieux intérieur et extérieur. Ses expériences sont à l’origine du déploiement d’un drain agricole, matériau utilitaire qu’elle détourne pour en faire un de ses médiums. Il crée des lignes, des connexions à même le bâti, en venant se greffer sur des éléments architecturaux et d’autres de l’ordre des aménagements de parc ou de jardin.
Léger, il bouge au gré du vent ou d’autres éléments dans la nature. L’artiste trouve sur chaque site où elle est invitée à créer, des solutions pour dérouler son outil de dessin dans l’espace. Des ruptures, des continuités apparaissent en faisant le tour de ses installations. Des ramifications, un système racinaire, une régénérescence de tracés, se révèlent. Ses œuvres associent les oppositions entre inerte et vivant, forme et informe, statique et mouvement.
« La vie est une ligne, la pensée est une ligne, l’action est une ligne. Tout est ligne. La ligne relie deux points. Le point est un instant, et ce sont deux instants qui définissent la ligne en son commencement et en sa fin1. » écrit Manlio Brusatin dans Histoire de la ligne. Du Pavillon de Vendôme jusqu’à la ville, l’artiste fait surgir diverses lignes, rectilignes ou fluides, du plan au volume, du vide au plein, tangibles ou éphémères, jaune, noir, rouge, des couleurs qu’elle utilise pour ce qu’elles convoquent dans l’imaginaire collectif. Ce bâtiment patrimonial, écrin pour des interventions artistiques devient lieu de multiples circulations, certaines contenues, d’autres suggérant des continuités. Sur la façade, les lignes serpentines que dessine le drain agricole noir suggèrent des connexions, des points de coutures entre chaque élément. Ce matériau acquiert une organicité et témoigne de sa souplesse. Des liens et des interruptions se donnent à voir. Cette ligne mesure des espaces, elle les souligne. De loin, une forme dessinée se perçoit tandis que de près les segments nous invitent à regarder à différents niveaux afin de percevoir chaque forme sculpturale qui caractérise le décor de la bâtisse. L’œuvre, intitulée Lignes de dérivation invite également à songer à ce qui peut être caché et aux secrets que renferme la propriété historique. Sa perception change en fonction de nos déplacements. Telle une pousse d’un végétal en croissance, l’installation engendre une certaine confusion dans la lisibilité de l’architecture. Des points de contacts entre intérieur et extérieur sollicitent notre imaginaire et inspirent de potentielles croissances.Les installations de Karine Debouzie invitent au déplacement et à observer les détails du bâti ou du jardin. L’artiste sonde le passé du lieu et propose ainsi de nouvelles situations qui évolueront au gré des conditions météorologiques. (…)
Tout est affaire de justesse, de tension et de souplesse dans les installations de Karine Debouzie. Ses œuvres procurent diverses sensations qui s’imprègnent en nous. D’où les souvenirs de passages, de trajectoires à suivre, qui recréent des espaces au sein du lieu à l’architecture porteuse de récits.Dans la ville, au sol, un chemin semble raccorder différents lieux entre eux. Il met au jour des relations entre divers espaces. Jaune, couleur de l’attention, des travaux éphémères, signal, ce tracé attire l’œil et invite à modifier nos habitudes de déplacement. (…)
Ainsi, diverses ellipses spatiales inviteront à suivre les multiples lignes présentes au travers des œuvres de l’artiste. D’une ligne perçue en ville, une autre se découvre et conduit à redécouvrir les lieux et leurs histoires. Karine Debouzie met en lumière la multitude des réseaux visibles et invisibles, les conducteurs d’énergie, de fluides, les traces que nous laissons en marchant et en modifiant les circulations urbaines. Une infinité de connections, entre rupture et continuité se devine. D’où l’émergence d’un désir d’imaginer des liens entre le réseau urbain et les ramifications suggérées par ses installations in situ.
2021
karine debouzie
dans le creux des choses
La régularité satisfaisante du drain agricole est subvertie par son épanchement sur la façade de l’immeuble. La translucidité du film radiographique est rectifiée par la vitalité du geste qui dessine. Geste qui accumule une matière dont le retrait imprime une autre série de dessins rouges. L’intimité anonyme de la radiographie transférée sur de la bâche publicitaire nous place comme en impesanteur, situés que nous sommes, entre l’épaisseur visuelle de ces images et la fragilité qu’elles relatent.
Karine Debouzie renverse l’immédiateté idiote de matériaux emblématiques de la société thermo-industrielle. Par un jeu efficient de décalage avec leur usage (promotion et emballage de la marchandise, maîtrise des éléments naturels et du corps, …). Elle construit des espaces de manque, c’est-à-dire de tension entre la jubilation des formes organiques qu’elle fabrique et des matériaux qu’elle utilise résultant de la production de masse et d’un processus global de normalisation par la mise en calcul des existants.
En découpant et en assemblant ces matériaux, Karine Debouzie transforme des objets en choses, c’est-à-dire du stable et du fixe en moments de passage, de doute et d’élan.
De là, un étrange désir naît des contours qu’elle dessine autour de lieux hypothétiques qui nous échappent en permanence. Des cryptes viscérales dont la portée architecturale nous inquiète autant qu’elle nous séduit.
C’est ainsi que Karine Debouzie se situe dans le creux des choses.
2016
Ancienne étudiante de l’école nationale supérieure de photographie d’Arles, Karine Debouzie s’est progressivement éloignée de la captation photographique de la réalité pour explorer le langage plus direct de la forme et de la choséité, de leur surgissement et leur appréhension dans l’installation et l’environnement.
Marquée par la relation de l’imaginaire au réel, de l’informe à l’inconscient, du visible à l’indicible, Karine Debouzie travaille sur des matériaux à la fois pauvres et chargés d’affect; du polystyrène qu’elle déforme et enduit de couleur comme s’il s’agissait d’une graisse ou d’une matière alimentaire, aux bandes magnétiques qu’elle manipule avec leur contenu latent de mémoire, du matériel médical qu’elle détourne de sa fonction première, tous ces “supports” ou “mediums” conservent au final leur part de trouble et de malaise, d’impact et d’étrangeté, nous introduisant dans un champ où les mécanismes d’interprétation sont convoqués au niveau de la sphère plus intime de la perception et des sens.
Créant des formes froides et organiques, des mélanges à la fois neutres et instables, des dispositifs jouant sur la séduction et la répulsion, le travail de Karine Debouzie nous entraîne dans une interrogation du corps et des mécanismes de la pensée : “le corps est l’étendue de la psyché” disait Freud… C’est la notion même de corps qui est ici déplacée à la façon d’un dedans-dehors sans limites ou cadre précis. De la même manière, la notion de féminin ne cesse d’être à la fois investie et défaite, alimentée et évacuée dans le sens d’une mise en scène impossible, d’une fiction qui touche à l’obscène ou au court-circuit des pulsions. L’oral, le cannibale, le jouissif dialoguent avec la rétention, la coupure, la tension enfermante, comme si le corps sexué renvoyait toujours à la hantise de la castration, comme si la détermination par le genre ou les catégories mentales n’avaient de cesse de ravager l’humain et sa dimension intérieure.
Comment traduire l’émotion et le ressenti intime sans perdre pour autant le point de vue analytique et plus distancé ? Comment décrire l’énergie ? Comment aborder la force de la violence et son contraire, la vulnérabilité ? Comment décrire la souffrance sans tomber dans le piège du pathos ou de l’irregardable ? Comment creuser la particularité de l’intime tout en créant un récit d’une portée commune, universelle ? Les installations de Karine Debouzie abordent les questions de clivage et de binarité au sens large, en tentant un passage vers un féminisme ouvert à la transcendance, empreint d’archaïsme du sacré, au-delà des tabous et des censures.
2012
PERCER DES BULLES
La recherche scientifique au risque de la dérive. L’Histoire le montre, Karine Debouzie l’interprète. Dérive toujours poétique de son coté, une poésie concrète, « en chair et en os » si je puis dire, pour dire qu’elle ne cède en rien au lyrisme. Karine Debouzie poursuit sa recherche plastique faite d’installations, de dispositifs et de sculptures, dont l’essence interroge le corps, ses investigations et images médicales, l’univers organique et l’entropie.
Consistance, volume et légèreté, toujours. Crudité aussi parfois : le réel, l’appréhension du réel, à l’orée du monstrueux et de l’obscène, n’est jamais loin. Aussitôt rattrapé par le fantasque de l’interprétation, le jeu des changements d’échelle ou l’esthétisme de la réalisation, qui n’est pas sans raison…Voilà que des modules-souches, organes abrégés, nuages meringués, prolifèrent sur le mur. Ex-croissances autonomes, cellules « dégénériques », engendrements spontanés… Par perte de contrôle scientifique ? Par la force de la matière ?
La matière, ici, c’est le latex, dont l’artiste excède les propriétés premières pour « Evolucyte », œuvre inspirée par les dernières expériences (voir la revue « genes&development ») menées par des équipes de généticiens sur la culture des cellules-souches afin « d’effacer leurs marques de vieillissement », pendant que d’autres montrent leur possible évolution en cellules disons « déboussolées » après la manipulation, auxquelles l’artiste donne libre cours : « la poétique de la cellule » dit-elle…
Avec Karine Debouzie, c’est le traitement poétique, voire l’expérience artistique, du vertige scientifique ou la recherche à l’épreuve de l’Art.
Outrances de la science ? Outrances de l’art ? Une percée « inflorescente » et salutaire dans les bulles (hautement spéculatives) de l’une et de l’autre.
De la question du multiple, du reproductible, à l’épreuve d’artiste : une installation d’un naturel résolument expansif.