Karine Debouzie, Lignes et chemins de désir (extrait)

Mar 1, 2022

Karine Debouzie travaille in situ, à partir de son ressenti des lieux intérieur et extérieur. Ses expériences sont à l’origine du déploiement d’un drain agricole, matériau utilitaire qu’elle détourne pour en faire un de ses médiums. Il crée des lignes, des connexions à même le bâti, en venant se greffer sur des éléments architecturaux et d’autres de l’ordre des aménagements de parc ou de jardin. Léger, il bouge au gré du vent ou d’autres éléments dans la nature. L’artiste trouve sur chaque site où elle est invitée à créer, des solutions pour dérouler son outil de dessin dans l’espace. Des ruptures, des continuités apparaissent en faisant le tour de ses installations. Des ramifications, un système racinaire, une régénérescence de tracés, se révèlent. Ses œuvres associent les oppositions entre inerte et vivant, forme et informe, statique et mouvement.
« La vie est une ligne, la pensée est une ligne, l’action est une ligne. Tout est ligne. La ligne relie deux points. Le point est un instant, et ce sont deux instants qui définissent la ligne en son commencement et en sa fin1. » écrit Manlio Brusatin dans Histoire de la ligne. Du Pavillon de Vendôme jusqu’à la ville, l’artiste fait surgir diverses lignes, rectilignes ou fluides, du plan au volume, du vide au plein, tangibles ou éphémères, jaune, noir, rouge, des couleurs qu’elle utilise pour ce qu’elles convoquent dans l’imaginaire collectif. Ce bâtiment patrimonial, écrin pour des interventions artistiques devient lieu de multiples circulations, certaines contenues, d’autres suggérant des continuités. Sur la façade, les lignes serpentines que dessine le drain agricole noir suggèrent des connexions, des points de coutures entre chaque élément. Ce matériau acquiert une organicité et témoigne de sa souplesse. Des liens et des interruptions se donnent à voir. Cette ligne mesure des espaces, elle les souligne. De loin, une forme dessinée se perçoit tandis que de près les segments nous invitent à regarder à différents niveaux afin de percevoir chaque forme sculpturale qui caractérise le décor de la bâtisse. L’œuvre, intitulée Lignes de dérivation invite également à songer à ce qui peut être caché et aux secrets que renferme la propriété historique. Sa perception change en fonction de nos déplacements. Telle une pousse d’un végétal en croissance, l’installation engendre une certaine confusion dans la lisibilité de l’architecture. Des points de contacts entre intérieur et extérieur sollicitent notre imaginaire et inspirent de potentielles croissances.
Les installations de Karine Debouzie invitent au déplacement et à observer les détails du bâti ou du jardin. L’artiste sonde le passé du lieu et propose ainsi de nouvelles situations qui évolueront au gré des conditions météorologiques. (…)
Tout est affaire de justesse, de tension et de souplesse dans les installations de Karine Debouzie. Ses œuvres procurent diverses sensations qui s’imprègnent en nous. D’où les souvenirs de passages, de trajectoires à suivre, qui recréent des espaces au sein du lieu à l’architecture porteuse de récits.
Dans la ville, au sol, un chemin semble raccorder différents lieux entre eux. Il met au jour des relations entre divers espaces. Jaune, couleur de l’attention, des travaux éphémères, signal, ce tracé attire l’œil et invite à modifier nos habitudes de déplacement. (…)
Ainsi, diverses ellipses spatiales inviteront à suivre les multiples lignes présentes au travers des œuvres de l’artiste. D’une ligne perçue en ville, une autre se découvre et conduit à redécouvrir les lieux et leurs histoires. Karine Debouzie met en lumière la multitude des réseaux visibles et invisibles, les conducteurs d’énergie, de fluides, les traces que nous laissons en marchant et en modifiant les circulations urbaines. Une infinité de connections, entre rupture et continuité se devine. D’où l’émergence d’un désir d’imaginer des liens entre le réseau urbain et les ramifications suggérées par ses installations in situ.
Pauline Lisowski
Critique d’art
Pour « Lignes de désir », catalogue de l’exposition au Musée du Pavillon de Vendôme
Mars 2022, Aix-en-Provence